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Musique burkinabè : « Il ne faut pas nous donner des miettes et donner des millions aux artistes venus d’ailleurs », Yili Nooma, artiste musicienne

yili uneYili Nooma, Azata Gansonré à l'état civil, est une artiste musicienne burkinabè ayant sorti en 2004 son 1er album, baptisé « Yennenga ». Après «Excision »  en 2010, Yili revient avec «Bilfu Bilfu» en 2014. En 2007, elle est lauréate du Kundé du meilleur espoir de la chanson burkinabè. Et en août dernier elle a fait sortir un single : Allah Kaman. Radars Info Burkina s’est entretenu avec cette talentueuse artiste sur sa carrière ainsi que sur d’autres sujets en lien avec le showbiz au Burkina.

Radars Info Burkina (RB): Vous avez entre-temps disparu des radars du showbiz burkinabè. Qu’est-ce qui explique cela ?

Yili Nooma (YN): Merci de me donner l’occasion de m’exprimer, car j’ai beaucoup de choses à dire. Si je ne suis plus sur la scène musicale depuis longtemps, il faut dire que c’est parce qu’on a vraiment un souci de producteurs au Burkina. On fait de l’autoproduction. Or l’autoproduction, ça requiert de gros moyens si on veut faire des productions de grande envergure. Je veux dire faire des enregistrements dans de grands studios, réaliser des vidéos de bonne facture à coût de millions et faire une grande promotion. Moi, je n’ai pas ces moyens. Donc c’est vraiment difficile. C’est ce qui fait que je ne sortais pas depuis. Sinon j’ai des compositions, beaucoup de chansons.

C’est mon grand frère qui m’a soutenue dans la réalisation de mon premier album. C’est même lui qui l’a produit. Mais c’était difficile. J’ai d’abord fait le studio et par la suite il a fallu réaliser des vidéos et la promotion. Dieu merci, Karim Traoré d’ETK Productions a édité l’album. Il m’a permis de faire deux belles vidéos et m’a énormément soutenue dans la promotion de l’album. Je le répète, l’autoproduction est difficile. Il faut vraiment de grandes maisons de production pour positionner un artiste sur le plan national et surtout à l’échelle internationale. Des artistes sont beaucoup joués sur des chaînes. Mais il faut souligner qu’il y a des moyens derrière. Quand ta vidéo passe sur des chaînes comme Trace et Bblack,   ça te permet d’être connu sur le plan continental, voire au-delà. Mais pour cela, il faut payer.

RB: Pourtant ils disent que c’est gratuit…

YN: Je ne le crois pas, d’autant plus que j’ai envoyé « Bilfu » en 2014 à la chaîne de télé Trace sans qu’il y soit diffusé. 

RB : Parfois, ils disent que ce sont des vidéos qui ne répondent pas aux normes techniques.

YN: Pourtant, la vidéo « Bilfu » était de très bonne facture. Je vois des vidéos diffusées sur ces chaînes qui ne valent pas la mienne en matière de qualité. Je me dis que c’est une question de moyens financiers. Pour positionner un artiste, il faut faire sa publicité, réaliser des spots qui vont passer sur ces chaînes. Je répète que ce n’est pas gratuit.

RB : Mais vous avez été quand même soutenue !  Par exemple, l’ex-manager d’Alpha Blondy, Koné Dodo, à travers sa structure, vous a soutenue. Qu’en est-il de votre collaboration avec lui ?

YN : Avec Koné Dodo, j’avais signé un contrat de 3 ans pour un maxi. Mais deux ans après, ledit maxi n’était toujours pas sorti. Donc j’étais obligée de résilier le contrat parce que les choses n’avançaient pas. A cette période-là, Koné Dodo faisait de la politique en Côte d’Ivoire. Il était directeur du palais de la Culture et avait beaucoup à faire. Il ne s’est pas vraiment impliqué dans mon projet, donc j’ai été obligée de résilier mon contrat avec lui.

RB : Il y a des chansons d’artistes burkinabè sur des plateformes de téléchargement payant et malheureusement, ces artistes n’en sont même pas informés.  Par exemple une de vos chansons, Yennenga, est sur FORTY FIVE sans votre accord.

YN: Effectivement, je le confirme ; je ne sais pas comment ma chanson s’est retrouvée sur ladite plateforme. Je mène ma petite enquête pour voir qui est derrière.

yili 2RB : Vous avez sorti un single et apparemment, la promo à l’échelle nationale n’est pas simple. Vous avez certes évoqué le cas de Trace, mais est-ce que même ici au Burkina les médias  font votre promotion ? Quels sont vos rapports avec les hommes des médias dans le cadre de la promotion de vos œuvres ? 

YN: Il faut dire qu’au Burkina, on a également un problème. On n’est pas beaucoup soutenu. La musique étrangère est plus présente ici que notre propre musique et à mon humble avis, cela n’est pas normal. Dans les maquis, les boîtes de nuit et autres, on entend plus la musique venue d’ailleurs que celle nationale. Je pense qu’il faut qu’on soit patriote. Avant, certains prétendaient qu’il n’y avait pas de bonne musique burkinabè. Pourtant aujourd’hui, il y a tellement de bonne musique burkinabè !  Il faut soutenir les artistes nationaux que nous sommes et jouer notre musique pour qu’on puisse nous connaître. Si tu fais sortir une œuvre et qu’elle n’est pas jouée, elle passera inaperçue. Et c’est difficile d’entrer de nouveau en studio pour faire sortir une nouvelle œuvre. Tu as beau faire les radios, participer aux émissions télé, si ta musique n’est pas jouée, tout cela ne sert à rien. C’est pourquoi je voudrais demander aux animateurs radios, aux DJ des maquis et boîtes de nuit de jouer notre musique pour nous permettre d’être connus chez nous. Car il y a des artistes ici au Burkina qui ne sont même pas connus chez eux alors que des artistes d’ailleurs sont joués en boucle. Quand ils sont invités ici pour des spectacles, ils sont connus donc ils arrivent à remplir les salles. En outre, ces artistes étrangers ont de gros cachets. Au niveau des cachets ici au Burkina, le problème se pose également. On n’est pas bien payé. J’ai refusé beaucoup de prestations parce que le cachet proposé n’était pas acceptable.

Pour faire une prestation live avec des musiciens, tu loues une salle pour les répétitions. Ensuite tu payes le cachet des musiciens et à la fin tu n’as rien. C’est comme si tu travaillais pour ne rien gagner et c’est difficile de tenir dans ces conditions. On veut aussi  être des stars, rouler dans de grosses caisses, avoir des maisons luxueuses comme certains artistes nigérians. Mais avec les cachets que nous percevons  ici, c’est vraiment difficile.

yili 3RB : On vous reproche également, en tant qu’artistes,  de mettre l’accent sur la production de vos œuvres et de ne pas penser à un budget promotionnel. Quel commentaire en faites-vous ?

YN: Mais pour faire cela, il faut en avoir les moyens ! Personnellement, je n’ai pas un tel budget pour faire la promotion de mes œuvres. Je fais de l’autoproduction avec mes maigres moyens.

RB : Donc vous devez comprendre, si vous n’avez pas de budget promotionnel, qu’on ne joue pas beaucoup vos productions !

YN: C’est ce que je viens de dire : on n’a pas de gros cachets. Comment tu peux vivre, économiser et réinvestir  cet argent dans ton travail ? Il faut être bien payé pour cela. Aux organisateurs de spectacles je demande de bien payer les artistes nationaux.  Il ne faut pas nous donner des miettes et, à l’inverse, payer à coût de millions les artistes étrangers !  Comment pouvons-nous rivaliser avec ces artistes dans ces conditions ? Ces artistes ont les moyens de faire des clips à coût de millions, et on ne peut pas comparer un clip de 5 millions à un clip de 500 000 F. Si nous avons les moyens, nous allons faire de grosses productions et les gens vont aimer.

RB : L’actuel ministre de la Culture a dit qu’un artiste qui n’a pas les moyens, qui n’est pas talentueux, devrait aller faire autre chose.

YN: Je pense qu’un artiste talentueux a besoin d’être soutenu.  Il n’y a pas ce chanteur burkinabè qui est connu partout dans le monde. Il faut que les Burkinabè puissent investir et avoir confiance en nous. Il y a de grands producteurs partout dans les pays. Mais ici on n’en dispose pas. Prenez le cas de notre compatriote Awa Boussim : quand Sony Music l’a prise dans son écurie, on a tous vu le résultat ! Elle a travaillé dans les meilleures conditions et réalisé une très belle vidéo. Ils ont mis les moyens qu’il fallait.

RB : Quelle est votre actualité ? Qu’est-ce que vous devenez ? Un album en préparation ?

YN: Je viens de sortir un single, Allah Kaman. Nous sommes en train de nous préparer pour la vidéo. Par la suite, je ferai sortir encore un autre single. Pour le moment, je ne parle pas d’album parce qu’un album, ça coûte beaucoup d’argent. Donc je vais aller de single en single et si j’ai un producteur qui est prêt à mettre les moyens, je pourrai ferai un album ou même des albums. J’aime mon travail, je ne vais pas laisser mes fans.

RB : On dit que certains artistes burkinabè sont capricieux, difficiles. Est-ce votre cas ?

YN: Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette perception des choses ;  ça dépend. Moi par exemple, quand on me contacte pour une prestation et que le cachet ne m’arrange pas, je dis simplement non. Je veux pouvoir vivre de mon art. Je dois bien m’habiller, et si j’ai des musiciens, ils doivent aussi être à l’aise, pouvoir répéter dans de bonnes conditions. Je veux pouvoir bien payer mes musiciens, car ce sont des pères de famille… Donc si le cachet qu’on me propose n’est pas bon, je refuse de jouer. Tant que c’est bien payé, j’accepte de faire du  live ou, à défaut, du playback  parce qu’il y a des cérémonies où les organisateurs n’ont pas tout ce qu’il faut pour le live.

RB : Merci, Yili Nooma, bonne continuation !

YN: Merci beaucoup.

 

Propos recueillis par Richard Tiéné et Aly Tinto