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Libération quatre otages au Mali : «Il faut profiter de cette euphorie pour enfoncer le clou et essayer de faire la paix », Yehia Ag Mohamed Ali, chercheur

otg uneAu Mali, le chef de file de l’opposition politique, Soumaïla Cissé, l’humanitaire française  de 75 ans, Sophie Pétronin, ainsi deux Italiens, à savoir le prêtre Pier Luigi Maccalli et le jeune Nicola ChiaCChio, ont été libérés jeudi 8 octobre 2020 par leur ravisseur, le  Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), contre la relaxe en début de semaine de 210 terroristes présumés incarcérés dans des prisons maliennes. Radars Info Burkina a joint Yehia Ag Mohamed Ali, chercheur à l’Institut de veille et d’études des relations internationales et stratégiques (IVERIS), pour recueillir son analyse de ce dénouement et en savoir plus sur les inquiétudes sur cette transaction.

Radars Info Burkina (RB) : Après plusieurs jours d’incertitude et de rumeurs, la libération des otages a  été effective jeudi soir quand ils sont arrivés à Bamako. Dans quelles circonstances avez-vous accueilli ces informations ?

Yehia Ag Mohamed Ali (Yehia): La libération des otages, surtout de Soumaïla Cissé, a été un très grand soulagement pour nous tous. Je suis originaire de la même région que lui. J’ai même été enlevé de façon très brève par ces gens  une semaine avant l’enlèvement de Cissé (M. Cissé a été enlevé le 25 mars alors qu’il faisait campagne pour les élections législatives dans la région de Tombouctou, Ndlr). Je suis très soulagé, très content et je souhaite le meilleur à M. Cissé et à tous les autres otages. Je sais ce que ça fait d’être privé de liberté. J’en ai déjà fait l’expérience pendant au moins 24h et je sais ce que cela vaut.

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RB : Une victoire pour les nouvelles autorités ?

Yehia : Cette négociation était déjà bouclée bien avant le coup d’Etat. Ce ne sont pas des choses qu’on boucle en deux ou trois semaines. Mais les nouvelles autorités ont eu surtout l’intelligence de laisser le dispositif tel qu’il était plutôt que de le continuer. Naturellement, elles en tirent un bénéfice politique énorme. En effet, faire revenir Soumaïla  Cissé,  sur lequel les rumeurs les plus folles ont circulé, c’est vraiment marquer un très grand point. Et en même temps, faire libérer la Française Sophie Pétronin et les deux Italiens leur permet également d’avoir une certaine crédibilité au niveau de la communauté internationale. Je crois qu’au fond, ces autorités ont frappé un grand coup sans avoir vraiment rien fait parce que tout était fait avant elles.

RB : Au-delà de la réjouissance de la libération des quatre otages, sans compter le montant de la rançon, ce sont 210 terroristes qui ont été relâchés dans des zones qu’ils maîtrisent bien, ne faut-il pas s’inquiéter du déséquilibre de cette transaction, eu égard à son impact éventuel sur la stabilité du Mali et, partant, du Sahel ?

Yehia : La plupart des détenus ne sont pas des terroristes. La majorité étaient des gens qui étaient au mauvais endroit à un certain moment. Ce sont des gens qui ont été arrêtés dans de petits villages  et que Barkhane ou l’armée malienne a emmenés et accusés de terrorisme.  Sur les 200 détenus, je peux dire qu’il y a certainement au maximum 10% de terroristes.  Donc en réalité, ce n’est pas un très grand renfort pour les terroristes. Par contre ce qui est extrêmement important, c’est le coup politique que marque ainsi le GSIM, car il est maintenant présenté comme le redresseur de torts.  Le GSIM a remis des otages qui avaient été arrêtés de façon arbitraire à leurs familles. Toutes ces familles, toutes les communautés auxquelles appartiennent les libérés sont très reconnaissantes au GSIM. Ces derniers temps, il y a beaucoup de poèmes qui fleurissent dans le nord du Mali à la gloire d’Iyad Ag Ghaly et dans le centre du pays à la gloire d’Amadou Koufa. C’est le grand capital sympathie que le GSIM engrange suite à ces libérations d’otages qui est la plus grande victoire.

RB : Dans cette situation, peut-on dire que le rapport de force est en faveur du GSIM ?

otg 3Yehia : Dans ce genre de conflit, on ne peut pas parler de rapport de force. En effet, le propre même des conflits asymétriques, c’est qu’on a deux forces qu’on ne peut pas comparer. L’une est plus grande que l’autre de façon multiple. Maintenant la force faible utilise des moyens de ruse pour éviter une confrontation directe et attaquer l’autre pratiquement à la marge. Je crois que c’est ce qui va continuer. On ne risque pas d’avoir un affrontement direct entre GSIM et les armées nationales, il se ferait écraser immédiatement ; mais peut-être faut-il s’attendre à une multiplication des attaques, des poses de mines, etc.

RB : Cette libération extrajudiciaire de 210 terroristes n’est-elle pas un compromis qui encourage l’impunité ? 

Yehia : Ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. Il y a eu plusieurs libérations de prisonniers contre la libération d’otages, surtout ici au Mali dans le Sahel. Je crois que maintenant il faut qu’on cherche une solution définitive au Sahel. Cette question d’instabilité est tellement brûlante !

RB : Mais à quand cette solution définitive tant attendue, d’autant plus que les attaques vont crescendo et qu’il est venu s’y greffer une crise humanitaire sans précédent ?

Yehia : Pour arriver à cette solution, il faut qu’on commence par ouvrir des négociations avec les locaux. On ne peut pas tuer tout ce monde et dire qu’on aura la paix après. On a suffisamment fait la guerre pendant 8 ans sans résultats. A présent, il faut chercher autre chose. Toutes les crises finissent toujours autour d’une table de négociations. Il faut commencer maintenant à discuter avec les locaux, c’est-a-dire les terroristes maliens, burkinabè, pour arriver à un cessez-le-feu. Et après, chercher à établir quelque chose pour permettre à nos pays de sortir de ce tourbillon. Autrement, c’est l’existence même de nos peuples et de nos Etats qui est menacée.

RB : Que veulent ces combattants locaux pour qu’on les convie à la table des négociations ? En plus, quel compromis est possible avec ces terroristes locaux ?

Yehia : Il faut d’abord parler avec les gens pour savoir ce qu’ils veulent et, à partir de là, savoir les compromis qu’il faut faire. Je crois que la première chose qu’on doit faire, c’est demander un cessez-le-feu. Par la suite, il faut avoir des contacts intensifs pour savoir ce que les gens veulent. C’est à partir de ce moment que chacun va fixer ses lignes et voir là où le compromis est possible ou pas. Mais si on se dit à l’avance que rien n’est possible, je crois qu’en fait on se nuit à soi-même. On ne perd absolument rien à négocier.

RB : Quels enseignements tirer de la libération des quatre otages ?

Yehia : La première leçon à en tirer est quand on veut avoir des contacts, on le peut. Il existe des canaux par lesquels on peut obtenir les contacts. Pour moi, ces canaux,  il faut les utiliser maintenant pour aller plus loin et essayer de faire la paix. Il faut profiter de cette euphorie pour enfoncer le clou et essayer de faire la paix.

Interview réalisée par Aly Tinto